| Publié le 12 juin 2019 à 05:09 – Mis à jour le 12 juin 2019 à 05:19
Le Québec est la province où il y a le plus de feux résidentiels liés à cette cause
Des électriciens de la province sonnent l’alarme contre le manque criant d’inspections des travaux électriques par le gouvernement, car cela peut mettre en danger tous les Québécois à leur insu.
« C’est une question de sécurité du public », tranche Julie Senécal, directrice générale adjointe de la Corporation des maîtres électriciens du Québec (CMEQ), qui représente 3400 entrepreneurs.
« Les normes existent pour prévenir les électrocutions, les incendies », dit-elle.
Les électriciens doivent adhérer à la CMEQ pour avoir le droit de mener des travaux électriques. Cependant, c’est la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) qui a le pouvoir de les superviser.
Trop peu d’inspections sont menées chaque année, déplore la CMEQ, qui a mandaté la firme Raymond Chabot Grant Thornton pour mener une étude pancanadienne sur les pratiques d’inspection des travaux électriques, obtenue par Le Journal.
« Si vous faites Montréal-Québec et que vous savez qu’il n’y aura jamais de police, la limite de 100 km/h, ça ne veut plus rien dire […] C’est le free-for-all », dénonce à son tour le vice-président exécutif, Simon Bussière.
Le Québec dénombre plus d’incendies résidentiels de nature électrique que les autres provinces, conclut la firme dans son rapport, dont les chiffres proviennent du ministère de la Sécurité publique.
« Il semble exister une relation entre le faible nombre d’inspections et le nombre d’incendies et d’incidents de nature électrique », indique-t-on.
Même si les systèmes de chauffage électrique sont plus répandus au Québec, « ce facteur ne permet pas de justifier entièrement pourquoi elle est la province ayant le plus d’incendies résidentiels de nature électrique », peut-on également lire.
Une des principales causes
Les pompiers de Montréal ne pouvaient confirmer un lien, mais ils précisent que les problèmes électriques sont la troisième cause la plus fréquente de feux.
Sans inspection, les électriciens craignent aussi une concurrence déloyale d’entrepreneurs qui « tournent les coins ronds » pour réduire leurs coûts, sachant qu’ils ne se feront jamais prendre.
« Dans mes débuts, je voyais plus d’inspections qu’aujourd’hui, ça, c’est flagrant », dit l’électricien Éric Turcot.
Il déplore voir aujourd’hui des appels d’offres publics dans lesquels un concurrent promet des travaux 30 % moins chers que la majorité des entrepreneurs. Il n’est pas rare de voir des disjoncteurs surchargés dans des bâtiments pour réduire les coûts, donne-t-il en exemple.
« Le danger n’est pas juste dans les maisons, la malfaçon est aussi rendue dans le secteur commercial et industriel », dit-il.
Tolérance zéro
Le porte-parole de la Régie, Sylvain Lamothe, rejette les constats, mais ajoute du même souffle que son organisme ne détient « aucune donnée » et ne fait pas de vérifications ou d’enquêtes après-sinistres.
Il assure que la RBQ ne prend aucune décision qui mettrait le public en danger et que c’est « tolérance zéro ».
Les inspections à faire sont choisies en fonction d’une gestion des risques, privilégiant les bâtiments avec des personnes non autonomes ou des installations techniques plus dangereuses. Il ajoute que c’est à la CMEQ de s’assurer des qualifications de ses membres.
Le Québec est la seule province au pays dont la loi n’oblige pas les inspecteurs en électricité à faire une inspection avant la fermeture des cloisons sèches et avant le raccordement au branchement du consommateur.
4000 INSPECTIONS ICI ET 485 000 EN ONTARIO
Un peu plus de 4400 inspections ont été réalisées par la Régie du bâtiment du Québec pour des travaux électriques en 2017. Mais en Ontario, les inspecteurs ont visité 485 000 chantiers pendant la même année.
Voilà le constat de la firme Raymond Chabot Grant Thornton dans son étude menée au compte de la Corporation des maîtres électriciens du Québec (CMEQ).
« C’est insignifiant [le nombre d’inspections], ça n’a pas de commune mesure », lance Simon Bussière de la CMEQ.
Le porte-parole de la Régie, Sylvain Lamothe, dit à son tour que n’importe qui peut faire des travaux électriques en Ontario, contrairement au Québec, d’où la nécessité de tout inspecter. Il est ainsi interdit d’y fermer les murs d’une construction sans la visite d’un inspecteur, ce qui n’est pas le cas ici.
33 inspecteurs
Or, cet argument est « farfelu », selon M. Bussière. Il est faux de croire, selon lui, que tous s’improvisent électriciens en Ontario et que les travaux ne sont pas surtout faits par des professionnels.
Le Québec ne compte que 33 inspecteurs, alors qu’ils sont 250 en Ontario et plus d’une centaine en Alberta et en Colombie-Britannique.
M. Lamothe affirme qu’il est hasardeux de comparer les provinces, puisque les mécanismes sont différents, comme l’attribution des permis ou la certification des électriciens.
Inspections très rares
Des entrepreneurs interrogés par Le Journal ont tous rapporté que les inspections sont très rares. En affaires depuis huit ans en Outaouais, Julien Paquet dit n’avoir eu que deux fois la visite d’inspecteurs de la Régie. Or, son carnet de commandes compte déjà plus de 1300 factures pour des travaux.
À Warwick, l’électricien Joël Croteau n’envoie même plus sa déclaration de travaux à la Régie. Il n’est jamais inspecté de toute façon, dit-il.
La CMEQ verse près de 20 millions $ à la Régie avec les cotisations de ses membres. Mais elle estime que seulement 3 M$ sont utilisés pour les inspections.
M. Lamothe fait quant à lui valoir que son organisme doit aussi s’occuper de la réglementation, par exemple.
« La Régie n’a pas le pouvoir de décider d’engager plus d’inspecteurs. C’est le Conseil du trésor qui peut autoriser des embauches supplémentaires. »
Nombre d’inspecteurs en 2017
Québec : 33
Ontario : 250
Colombie-Britannique : 110
Le Québec a 0,4 inspecteur par 100 000 habitants, contre environ 2 pour la moyenne canadienne
Nombre d’inspections
Québec : 4433
Ontario : 485 000
Colombie-Britannique : 56 609
Incendies résidentiels de nature électrique
Québec : 677
Ontario : 504
Colombie-Britannique : 154
Source : étude de la firme Raymond Chabot Grant Thornton, 2017